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Leadership : passer du surhomme à l’humain
6 septembre 2022 par Michel pour Gestion privée 1859
D’ABORD, PEUT-ON VRAIMENT PARLER DE SANTÉ MENTALE EN ENTREPRISE?
« C’est inévitable », dit-il d’emblée. « Un entrepreneur vit avec un niveau de stress souvent bien plus élevé que la moyenne, et l’on sait maintenant que le stress est l’un des facteurs les plus déterminants en termes de santé mentale ». Mais limiter la pertinence de la discussion sur la santé mentale en entreprise à celle de l’entrepreneur ou de l’entrepreneuse elle-même serait réducteur : Martin insiste sur l’importance d’aborder ce sujet en rapport avec tous les aspects d’une entreprise, des équipes aux méthodes de gestion en passant par les finances.
LES COÛTS DES TABOUS
« On estime que les coûts reliés à une mauvaise santé mentale pour l’économie canadienne atteindront 2,5 trillions de dollars canadiens d’ici 2041 ». Les entreprises devraient donc investir en santé mentale, car les congés payés pour cause de maladie et la baisse de productivité sont les effets les plus coûteux. Ce qu’il ne faut pas oublier dans ce calcul, c’est aussi le gain en productivité que peut faire une entreprise dans laquelle la santé mentale des membres du personnel est prise en compte. Dépenser en santé mentale, c’est aussi gagner en productivité, donc en chiffre d’affaires.
« C’est la faillite qui attend les entreprises qui ne se soucient pas de la santé mentale de leurs employés. » – Martin Énault
APPRENDRE À SE PARLER
S’en soucier, selon Martin, ce n’est pas si complexe que cela : « Une entreprise qui tient compte de la santé mentale de ses équipes, c’est, à la base, une entreprise qui ne cause pas de maladie et qui est à l’affût des red flags potentiels. C’est une entreprise humaine. »
Plusieurs mesures peuvent être mises en place, mais la plus importante est la création d’un environnement dans lequel les gens se sentent à l’aise de s’exprimer ouvertement. « Il n’y a pas de recette magique : si tu ne me dis pas comment tu te sens, je ne peux pas le deviner. Même chose pour les autres : je suis responsable de leur dire comment je me sens », dit-il en toute simplicité, avant de relativiser son propos : « Si je suis en costume 365 jours par année et qu’un matin j’arrive au bureau en t-shirt et jeans et que j’ai une haleine de fond de tonne, c’est sûrement un indice que je ne vais pas super bien ».
Selon lui, le facteur le plus déterminant favorisant la création d’un climat dans lequel on se sent à l’aise de s’exprimer est la présence d’une ou un leader qui est capable de le faire aussi. Un leader non pas surhumain, mais simplement humain – avec tout ce que cela comporte.
METTRE DES CHIFFRES SUR LA SANTÉ MENTALE?
Pour Martin, il ne faut surtout pas avoir peur d’associer santé mentale et argent : « Ce n’est pas mauvais de dire qu’il faut qu’il y ait de la productivité et des revenus rattachés à ces démarches-là. Plus les gens sont bien, plus tout le monde fait de l’argent, plus tout le monde est content… » Et la roue tourne. « Aujourd’hui, dans mon entreprise, il n’y a plus de non-dits et les manières que l’on a de faire de l’argent sont plus intelligentes : en gros, les problèmes sont adressés dès qu’ils émergent et on va de l’avant beaucoup plus rapidement ».
RESSOURCES HUMAINES
Une fois que les frontières sont devenues plus transparentes et que des structures plus favorables au maintien d’une santé mentale saine ont été mises en place, un tri naturel se fait au sein des membres du personnel : « Au début, ça peut être déstabilisant pour certains d’être dans un environnement où les gens sont plus authentiques, mais finalement ils s’y habituent et s’y sentent plus à l’aise, soutenus et en sécurité. Ceux qui cachaient des choses et qui avaient tendance à nuire, ils s’en vont d’eux-mêmes : ils ne se sentent plus à leur place dans un milieu comme celui-là. »
TOUS ÉGAUX… MAIS ENCORE?
Il existe beaucoup d’idées préconçues par rapport à la santé mentale et à la manière qu’elle a d’affecter les individus. Prenons l’exemple d’une personne qui s’ouvre et admet souffrir de maladie mentale. Dans le cas de Martin, il y a une dizaine d’années, lorsqu’il a annoncé sa bipolarité, l’accueil de ses collègues a été très bon. Il a été appuyé et plusieurs individus ont été inspirés par son ouverture. Seulement, il a eu de la chance, car ce n’est pas toujours le cas. Martin explique d’ailleurs qu’à cette époque, il pouvait y avoir des conséquences à parler de ses problématiques de santé mentale. Les femmes, plus particulièrement, risquaient même de perdre leur emploi.
Comme Martin Énault le dit, c’est rarement le cas aujourd’hui, mais il reste encore des inégalités quant à la manière que l’on a de percevoir les effets de la santé mentale sur une personne. La mentalité de l’« homme blanc hétérosexuel » est encore forte et influence toujours nos jugements.
L’HOMME BLANC
Il insiste longuement à ce sujet : étant conscient qu’il correspond à l’image d’« homme blanc hétérosexuel », il se sait favorisé par la société actuelle. Ainsi, c’est un facteur qu’il considère dans sa manière de gérer son entreprise : « Je ne peux pas savoir, moi, comment une femme se sent quand elle a ses règles; je ne sais pas ce que c’est que d’être victime de racisme… Pourtant, ce sont des réalités pour plusieurs membres de mon équipe, et si je ne les prends pas en compte, ça crée des circonstances qui, sur le long terme, favorisent l’émergence de problématiques de santé mentale ».
Que ce soit en rapport avec l’orientation sexuelle, l’identité de genre, les conditions socio-économiques ou autres, la santé mentale globale des équipes d’une entreprise ne peut pas être maintenue sans que les réalités relatives à l’inclusivité soient observées. Les dirigeants et dirigeantes n’échappent pas, non plus, aux problèmes liés aux biais cognitifs, préjugés, stéréotypes et conditions de travail non inclusives.
EN CONCLUSION
En fin d’entrevue, Martin ajoute : « Aujourd’hui, je me sens beaucoup mieux. Mes relations sont stables et vraies, elles sont plus fortes et il n’y a plus de non-dits; les gens s’ouvrent à moi. […] Finalement, les seuls tabous qui existent, ce sont pratiquement toujours ceux que l’on se met à soi-même. La vérité, c’est que tout le monde a le syndrome de l’imposteur et que la journée où l’on réussit à se faire confiance, on vit une vie beaucoup plus heureuse. Une fois que l’on dit ce que l’on veut plutôt que d’espérer que les autres le devinent, ça va beaucoup mieux. »
Martin est aujourd’hui président du conseil d’administration de Relief, un organisme qui vient en aide aux individus vivant avec de l’anxiété, de la dépression ou de la bipolarité, en plus d’être, entre autres, un entrepreneur en résidence en chef du Centech. En s’engageant auprès du grand public et des dirigeants et dirigeantes d’entreprises de demain, il espère mettre à profit son expérience personnelle en ce qui a trait à la santé mentale, et ce, afin de faire de cette dernière l’une des propriétés, non pas seulement de nos entreprises, mais aussi de notre société.
Pour de plus amples informations au sujet de la santé mentale ou obtenir de l’aide immédiate, rendez-vous sur le site web Espace mieux-être Canada ou composez le 1-866-585-0445.